Pierre Loze - "Portraits réfléchis",
Bruxelles, mai 2008







Portraits réfléchis

Exposition Portraits réfléchis, Association du Patrimoine Artistique, Bruxelles, 2008


Est-il possible que la peinture après tous les avatars qu‘elle a connus ait épuisé ce qu‘elle pouvait nous dire ? Beaucoup le pensent et cherchent la voie de l‘inédit dans d‘autres modes d‘expression.
Françoise Vigot, après une formation à l‘Ecole des beaux-Arts de Caen qui lui a permis d‘expérimenter bien des techniques, a recroisé, un peu par hasard, le chemin de la peinture dite traditionnelle, et s‘y adonne avec une sorte d‘obstination devenue rare. J‘entends par là, non pas la production de formes et de couleurs comme signe d‘une expression personnelle, mais la relation du peintre à un objet perçu, auquel il s‘attache et qu‘il cherche à saisir avec continuité.

Dans la pièce atelier, elle s‘est mis en tête de saisir le plus ténu des témoignages de la réalité qui l‘entoure : les reflets que son environnement suscite sur un petit objet sphérique en plastique, plus satiné que brillant. On aperçoit des fenêtres, une silhouette, un espace qui s‘ouvre. Retournant la proposition de Platon, elle interroge ce pâle spectre de la réalité, comme s‘il était susceptible de nous révéler quelque chose. Elle creuse cet espace qui s‘ouvre comme la grotte dont parlait le philosophe, qui semble à l‘image de notre monde intérieur, et elle le reconstruit, le sculpte, le fait surgir vers nous, et nous attire dans son orbite. Car ici plus que jamais, face aux insaisissables effets que produisent les variations de la lumière et le mouvement de celui qui observe, la représentation est une reconstruction et une interprétation de la perception.

Il semblerait que Françoise Vigot, en circonscrivant ainsi le champ de son expérimentation sensitive ait trouvé une façon de repenser la peinture et de revenir à ses fondements. La photographie, mais aussi le monde technoscientifique où nous vivons, nous ont habitués à l‘idée illusoire d‘une sorte d‘objectivité de nos perceptions, et ont affaibli notre conscience d‘une subjectivité qui en constitue la base.

Ici à chaque tableau qui semble évoquer le même sujet, c‘est autre chose qui se passe. Devant les variantes infinies de ces dispositions analogues où le détail nous échappe, nous ne pouvons que projeter nos impressions. Nous voyons se mettre en marche le mécanisme de l‘imagination qui met un visage ou un âge sur cette silhouette, qui interprète matinalement la lumière ou redoute quelque chose dans la pénombre de la pièce. Loin d‘entraver leur interprétation, ces formes relativement imprécises la provoquent, et mettent à jour le mécanisme de notre esprit. Nos humeurs, nos attentes, nos sensations du moment viennent peupler ces évocations fugitives et y suggérer ce qui se passe. Et surtout, s‘exprime à travers tout le mystère de la lumière qui règne sur nos existences et la régit. Le monde ramené à son essence.
Et si Platon avait vu juste.